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Gift : Marteau Rouge & Evan Parker Jean-Marc Foussat, Jean François Pauvros Makoto Sato FOU Records FRCD – 51
https://fourecords.com/FR-CD51.htm
Enregistré le 1 3 décembre 2009 aux Instants Chavirés à Montreuil. Pochette : une lithographie de Karel Appel. Marteau Rouge, groupe légendaire composé de Jean-Marc Foussat (synthé VCS3, voix jouets), Jean François Pauvros (guitares, voix) et Makoto Sato (percussions). Et le saxophoniste ténor et soprano Evan Parker avec qui Marteau Rouge avait déjà enregistré un CD, « LIVE », l’année d’avant, publié par In Situ en 2009.
Marteau Rouge est un trio focalisé dans le noise tellurique, électrique avec la guitare saturée et électrocutée de Pauvros et les strates et boucles insaisissables de Foussat qui fusionnent, s’entremêlent ou explorent des drones mouvants, des murmures, brouets que les baguettes folles de Makoto Sato agitent, soulèvent, et Evan s’envole en tournoyant, ou laissent s’étaler les vibrations. C’est alors dans un moment de presque silence légèrement électrique qui a traversé l’espace de jeu (18 minutes) comme un bolide, que nait lentement le souffle d’Evan, ses notes qui gonflent légèrement comme des bulles de gaz sur l’eau pourrie stagnante d’un étang délaissé, sortent de leur gangue en oscillant autour d’une tonique fantôme. L’archet de JFP fait monter un hymne de deux notes dans l’espace par-dessus les vibrations électroniques, quelques frappes de cymbales discrètes contribuent à l’ambiance séquence imprévue. Le sax ténor marque sa signature un instant. Un peu d’Air Frais. Into the Deep. Cette musique remplit l’espace et oblitère le temps, crée l’écoute, laisse le silence s’écouler, marque son territoire. Le souffleur commente, mord la pâte sonore du sax ténor qui s’élève, spirale, tournoie, se retourne face aux sifflements de rotors, au grésillements de machines, réagit brièvement à des signaux sonores, s’accroche aux frictions du guitariste. Le batteur étale ses baguettes rebondissantes sur les peaux, les cymbales s’écrasent, les fûts résonnent, la machine siffle, le sax enroule les morsures et brûlures comme des rubans enflammés, s’enfouit au creux de voix venues de nulle part. Quelques notes aiguës de guitare oscillent , un tambour répercute des roulements, sifflements électroniques , la guitare psyché sature, fracture les sons, secoue l’électricité, le sax d’Evan Parker reprend au vol des fragments joués par JFP et s’en emparant, démultiplie son phrasé. Les articulations implacables du souffle se chevauchent, triturent et fractionnent l’illusion de mélodies. Guitariste et électronicien font sauter la centrale, les plombs, ça explose ou trois notes de guitare font jeu égal avec les guirlandes parkeriennes. L’improvisation collective devient épique, le temps est complètement éclaté, la logique est remise aux vestiaires, le ring est devenu un champ de foire et on entend des appels d’oiseau, des craquements, des battements du percussionniste. Un passage bruitiste allumé surgit, guitare – synthé indescriptible, outrancier, le batteur perdu dans une rythmique qui rappelle tout le monde à l’ordre en cadence et le sax ténor joue le jeu, sa sonorité transformée par instants par J-MF. Construction collective cohérente pour quelques minutes avant que tout n’implose, la lave emporte les barrières, des scories surnagent. Il reste des fumeroles, des frappes de batterie, des ombres …. Will-O'-the-Wisp, le moment d’agilité collective, d’énergie kinesthésique… de gravitation ascendante par-dessus le vide. Tout éclate. Cette musique ne cherche pas une continuité, une narration, une logique, mais laisse venir des événements sonores, des contrastes, des sautes d’humeur, des outrances, des délires , des vociférations dans lesquels le saxophoniste marque sa trace, duquel il se nourrit et par-dessus lequel il s’envole pour y plonger. Échanges, provocations, rêves, instants qui s’engloutissent, folies… Le don.
Jean-Michel
Van Schouwburg
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L'histoire de Parker avec le trio français Marteau Rouge remonte au moins à 1988, comme en témoigne sur Gift une photo du quartet datant de cette année-là, mais le présent enregistrement de concert provient des Instants Chavirés en 2009. Il se distingue des collaborations de Parker par le caractère particulier du groupe, qui combine une attention collective avec un penchant pour la fabrication de couches concurrentes de sons turbulents. Jean-Marc Foussat, au synthé AKS, jouets et voix, et Jean-François Pauvros, à la guitare électrique et à la voix, créent une brillante diversité sonore, souvent difficile à attribuer, mais souvent à la fois chaotique et subtile, tandis que le batteur Makoto Sato est un partenaire acoustique subtil et essentiel, un principe de réalité dans un paysage de rêve.
Il s'agit de deux longues improvisations, "Air Frais" durant 27 minutes et "Into the Deep" 35 minutes, avec un " Will-o'-the Wisp" de 7 minutes en guise de rappel. Le saxophone ténor de Parker est la première voix sur le premier "Air Frais", à la fois abstrait et pensif, suggérant une sorte de nocturne, mais il va bientôt se transformer en un carnaval sonore anarchique avec l'entrée de Foussat et de Pauvros (qu'il vaut mieux écouter au casque), le premier générant un labyrinthe de ronflements, Le premier génère un labyrinthe de vrombissements, de sifflements, d'explosions et de rugissements, le second est responsable de sons qui pourraient provenir d'une guitare électrique traitée, y compris des passages sur les deux longues pistes qui suggèrent divers instruments à cordes (asiatiques, africains et violoncelle), qu'ils soient à archet, pincés ou Echoplexés. Sato est, dans ce contexte, un batteur discret, précis mais propulsif, quelque peu pressant dans les sous-bois, se mettant en avant au milieu de "Into the Deep" qui se termine par un passage merveilleusement étrange de voix de muezzin traitée électroniquement qui se transforme progressivement en chant africain, sans garantie d'authenticité au-delà de celle du quartet.
Compte tenu de tout ce que le groupe a créé en une heure, il est remarquable de constater qu'il reste beaucoup de choses pour ce "Will-o'-the Wisp", avec des vocalises libres traitées et un dynamisme constant, et encore plus de saxophone ténor en cascade, une musique à la fois pleine d'entrain et de bonne humeur. Parmi les réalisations de Foussat figurent l'enregistrement, le mixage, l'édition et le mastering, le tout à un niveau élevé et d'autant plus remarquable qu'il a également réalisé une grande partie de la musique.
https://www.freejazzblog.org/2024/01/two-different-parker-vintages.html
Stuart Broomer
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La récente participation de la rédaction à la fête d'anniversaire des 80 ans d'Evan Parker au Cafe OTO de Londres n'a pas seulement été synonyme d'impressions visuelles et sonores, résumées dans ces pages dès notre retour de la capitale mondiale de la musique librement improvisée, mais aussi d'un sac à dos considérable de disques achetés dans le lieu susmentionné. Parmi eux, il y avait à la fois de merveilleux anciens et des nouveautés tout à fait intéressantes. Nous aimerions maintenant attirer votre attention sur l'un de ces derniers.
L'album Gift, sorti à la fin de l'année dernière, documente un concert qui a eu lieu à Paris il y a quinze ans, mais il s'agit d'une première édition définitive de cet enregistrement. Il montre un croisement entre le saxophone ténor de Parker et le trio électro-acoustique Marteau Rouge, plein d'émotion, d'enchevêtrements sonores intrigants et d'interactions entre les quatre artistes, qui n'en étaient pas à leur première rencontre sur scène. Un autre de leurs concerts se trouve sur l'album Live, qui documente un enregistrement réalisé un an plus tôt (In Situ, CD 2009).
Ajoutons, pour les moins initiés, que Marteau Rouge consomme personnellement la légende de l'improvisation métissée française, Jean-Marc Foussat, dont le principal outil de travail est le synthétiseur, et ses deux astucieux partenaires réguliers en la personne du guitariste Jean-François Pauvros et du batteur Makoto Sato.
Nous vous invitons aux célèbres Instants Chavirés de Paris pendant près de soixante-dix minutes !
Le deuxième set s'ouvre sur un synthétiseur et le saxophone joue le rôle de commentateur, suggérant un chemin mélodique pour que l'improvisation se développe. Après quelques instants d'hésitation, une mystérieuse voix masculine appelle le quatuor à l'action ! Un récit collectif assez serré se forme, avec une direction clairement définie, et le drone sombre des synthés se promène à ses pieds. Après un moment de rodage enjoué, l'improvisation est confrontée au silence trouble des cymbales bruissantes et à la réverbération d'une guitare stagnante. La batterie semble alors être à son point le plus aigu et le circle drumming commence à construire les fondations d'un nouveau jeu. Elle est aidée par un drone de synthétiseur de basse et des twangs de guitare post-jazz. Ce moment doucement chaotique du concert est recouvert par un saxophone fortement stimulé, qui relance le quartet dans une nouvelle envolée freejazz. Le tempo augmente, l'intensité aussi, seule la guitare se détache de la tendance générale et tue le blues. Ici, la phase d'atténuation me fournit quelques phrases de double guitare, comme si le synthétiseur exécutait quelque chose comme un traitement en direct. Un apaisement significatif marque maintenant le passage de la dix-septième minute du set. Entre-temps, une fois de plus, le drame du concert est pris en charge par le batteur, ce qui donne l'impulsion à une nouvelle montée en puissance. Le synthétiseur enragé est celui qui profite le plus de cette circonstance. Le ténor tente d'abord d'étouffer ses émotions, mais au bout d'un moment, il passe déjà au tango, tout comme l'ensemble du quatuor. La narration s'arrête directement sur le beau jeu de caisse claire que nous connaissons depuis le début du concert, avant de tomber dans un état de doux balancement. Des préparations incidentes apparaissent, une voix d'homme, et enfin un chant digne d'un muezzin, qui surprend probablement tout le monde ici ! Cela semble être l'œuvre d'un guitariste ! Face à une telle volée, la finalisation du set prend une dynamique et une intensité intrigante.
Le rappel du concert n'est pas là pour nous rassurer, il est tout aussi dynamique et charnu que la fin du deuxième set. Du free jazz en plein élan, pimenté d'un ferment de guitare permanent et multigenre. Après le rappel, les applaudissements semblent encore plus nourris qu'après la partie principale.
Marteau Rouge & Evan Paker Gift (Fou Records, CD 2023). Jean-Marc Foussat - synthétiseur, voix, objets, Jean-François Pauvros - guitare électrique, voix, Makoto Sato - batterie et Evan Parker - saxophone ténor. Enregistrement de concert, Instants Chavirés, France, décembre 2009. Trois improvisations, 69 minutes.