Jean-Marc Foussat Guy-Frank Pellerin
extrait :
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La nuit s’efface et, de manière quasi imperceptible, les chuchotements d’un synthétiseur analogique AKS antédiluvien se révèlent indispensables au langage partagé avec des saxophones. Jean-Marc Foussat est rodé, les interactions qui confinent aux surprises font partie de son ADN. La trame musicale qui s’inscrit dans Les Beaux Jours - analogie étonnante avec la chanson du même nom d’Yves Simon - renvoie également à des sentiments vifs.
Le synthétiseur analogique permet d’amplifier des particules de notes à des instants précis : la manipulation en temps réel ne peut que densifier les climats séquentiels dont certains ici fréquentent les zébrures de l’album Cyborg de Klaus Schulze. Guy-Frank Pellerin exprime des nuances dans l’amplitude sonore par les timbres chaleureux de ses saxophones. Ses explorations phoniques témoignent de ses expériences musicales vécues au sein du Celestrial Communication Orchestra d’Alan Silva ainsi qu’avec Frank Wright.
La trame progressive qui habite ce disque fait se succéder des épisodes excitants. Les télescopages entre les deux artistes se renouvellent sans cesse comme dans « Phase de nuit » où apparaît un piano sombre, et avec l’intense dramaturgie de « … bien proche, sans doute ».
Dans Les Beaux Jours, Jean-Marc Foussat et Guy-Frank Pellerin dessinent une épopée extatique : leur expérimentation commune est mirifique.
Mario Borroni
7 janvier 2024
citizenjazz
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JEAN-MARC FOUSSAT / GUY-FRANK PELLERIN
LES BEAUX JOURS
FOU RECORDS, FR-CD 54 – 2023
J'ai croisé pour la première fois le nom de Guy-Frank Pellerin sur la pochette du magnifique
"Saxa Petra" enregistré en duo avec Mathieu Bec. Une telle présence alliée à tant de liberté
ne pouvait que se fondre dans le pointillisme ciselé par les peaux, les pierres et
l'inventivité du percussionniste. Quelques mois plus tard, j'eus la chance de découvrir une
autre facette de ce saxophoniste parisien ancré sur la côte toscane dans le cadre d'un trio
fondé avec ses compatriotes d'adoption, le guitariste Eugenio Sanna et le violoniste
Matthias Boss. Le son était plus rude, cette fois, mais l'esthétique à l'oeuvre n'en n'était
pas moins souveraine ni les risques pris à l'aune d'une témérité frisant parfois la perte de
contrôle. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que Jean-Marc Foussat, qui sut toujours
s'entourer des plus curieux investigateurs, se soit acoquiné avec ce personnage passé, en
quarante ans, de la fusion au Celestrial Communication Orchestra avant de côtoyer des
peintres, des acteurs, des danseurs et des musiciens issus de la scène expérimentale.
Si l'alliance des sonorités concrètes et du cuivre évoque, au même titre que "Rustiques"
avec Sylvain Guérineau, la bande-son d'un film imaginaire, les deux improvisateurs
agissent ici à même la matière poétique, ignorant la nature acoustique du langage musical
pour tracer les contours fantasmés d'une image en mouvement. Un soprano s'immisce
parmi les cigales et l'eau claire tandis qu'au loin, murmure le tumulte de travaux en cours.
Cette toile de fond, souvent présente au long des soixante-quatorze minutes de cet album
généreux, se métamorphosera en voix pastorales ou évoluera encore vers le miroitement
d'un ruisseau limpide, mais ne quittera guère le Sud où résident les deux musiciens, ni la
luminosité gorgée de chaleur d'un territoire idéal où il ferait bon vivre. Le titre, après tout,
invoque "Les beaux jours" et la statue de Bouddha émergeant en couverture des pierres et
des plantes succulentes suggère la même sérénité que l'horizon séparant la photo
présentée par Guy-Frank en deuxième page ou, pourquoi pas, les quelques vers de Tristan
Tzara cités en troisième et célébrant la mer inlassable et le nageur "que le rêve porte à la
porte du rêve". Cette mythologie solaire puisée en pleine Méditerranée s'étale partout sur
les murs blanchis et le ciel d'Azur au point que, lorsqu'un effet quelconque nous laisse à
penser que le saxophoniste a embouché ses deux instruments, on imagine la silhouette du
Dieu Pan se découpant sur une amphore étrusque. "Après la pluie" qu'on n'a guère
entendue, durant une "Phase de nuit", les préoccupations urbaines et leurs cris de
machines viennent parasiter la pureté du ténor. L'antiquité, dès lors, laisse la place à une
modernité teintée de tragique où le souffleur exténue le cuivre jusqu'à la fusion du métal.
Les accords plaqués par Jean-Marc se dilatent en vagues puissantes qui, un temps,
prennent le pas sur les machines et ce n'est pas un moindre paradoxe que le piano, malgré
toute sa tempérance, exhale un drame plus sombre que les synthétiseurs voués jusqu'ici à
la représentation d'un univers assez merveilleux.
On entendra de nouveau le clavier, emporté par des grondements que le saxophoniste
cerclera de cuivre avant de les arracher au paysage en dépit de leurs cris et de leurs
convulsions. Guy-Frank Pellerin épissera les fils de son discours jusqu'à l'unité spirituelle
d'un chant évoquant le "India" de Coltrane. Et des percussions, jaillies du coeur même de
l'Afrique, mèneront le duo jusqu'à la source du soleil, là où la chaleur est si forte que la
matière tombe en poussière et que le lyrisme confine à l'abstraction des mirages.
Joël Pagier