Avec Jean-Marc Foussat, on a souvent la certitude d'être transporté dans un ailleurs parfois inquiétant, parfois coloré, souvent dans un contraste où l'humour affleure. Un confins intranquille qui fait tout le sel de nos musiques. Ses dispositifs électro-acoustique ont déjà fait merveille récemment avec Henri Roger sur le très beau Géographie des Transitoires, mais le voici sur son remarquable label Fou Records avec une autre grande personnalité de la musique improvisée, le multianchiste Jean-Luc Petit.
On connaît bien ce dernier pour son magnifique solo Matières des Souffles, mais aussi pour ses diverses collaborations avec Daunik Lazro ou Benjamin Duboc. Petit est un homme de l'ombre. Pas qu'il agisse en éminence grise, mais il aime les ténèbres. Le noir de mine que charrie ses instruments : une clarinette contrebasse qui sonde les profondeurs et même un saxophone sopranino dont il tire de tel cris et de telles stridences qu'il fait trembler le sol jusqu'à l'écarteler.
C'est un oxymore brillant d'appeler le climat posé sur disques par ces deux improvisateurs ...D'où vient la lumière ! ; car celle-ci vient rarement des entrailles de la terre, et c'est pourtant le registre que s'est choisi le duo.
Les trois longs morceaux qui animent le duo sont des mouvements instables, parfois inquiétants, où le ronflement de la clarinette, qui grince parfois à vous en déchirer l'âme s'agglutine à des sifflements électroniques, comme des nuées d'oiseaux qui planeraient sur une terre à peine labourée, à la recherche de nourriture remontée du sous-sol. Voià ce que raconte « ......D'où vient la lumière ! » où l'auditeur semble toujours aux aguets. On s'attend à une rupture, elle ne vient jamais. Parfois le son mute, s'articule, revient à un bourdon épais comme un tapis de chanvre mais n'explose pas.
Ca le rend encore un peu plus fascinant, surtout lorsqu'on se perd. Quel est ce timbre ? D'où vient il ? Est il un souffle où une impulsion électrique ? Qu'est-ce qui nous submerge ? Qu'est-ce qui nous enseveli ?
Parce que c'est un fait. Entre les battements inopinés de cloches venues de nulle part (« Premières curiosités ») et les slaps des anches de Petit, le sol se rompt à plusieurs reprises et le sol s'évanoui sous nos pas. On s'enfonce dans ces sables mouvants, dans ce maelström, mais on ne se débat pas. Tout est progressif, jusqu'à l'écrasement. Le pire, c'est qu'on y prend du plaisir. Parfois, il y a un obstacle ; c'est souvent l'alto qui s'en charge.
C'est une rocaille ou quelque amas minéral qui ralenti la descente. Mais là aussi, la matière, qu'elle soit des souffles ou des machines, et l'attelage poursuit son excavation, avec l'auditeur à sa suite.
Jean-Luc Petit est également dessinateur. Ce n'est pas lui qui réalise la pochette qui présente un noir et blanc aux nuances invisibles, mais elle s'inspire d'un crayonné de fusain. Elle traduit bien l'atmosphère persistante d'un album captivant, plein de trace et d'épaisseur, avec une dimension physique, granuleuse, jamais lisse.
Dans les notes de pochette, Daniel Crumb évoque la Visitation, le ventre de la Vierge, les ténèbres de la gestation d'où viendra la lumière, nécessairement divine. C'est sans doute ce qui se trame dans l'échange de nos deux musiciens. Mais nul ne sait ce qu'il en adviendra. Il y a fort à parier que ce soit luciférien. C'est en tout cas la direction prise par la lumière de ce disque ; avec toutes les tentations qui l'accompagne.
Et une photo qui n'a strictement rien à voir...