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Sophie Agnel
piano

Kristoff K. Roll
J-Kristoff Camps
& Carole Rieussec
dispositifs électroniques

Daunik Lazro
saxophone baryton

 

extraits :

AU DÉPART C’EST UNE PHOTO
L'HIVER SERA CHAUD

 

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Quartet un peu tendre Sophie Agnel Kristoff K. Roll (Carole Rieussec & J-Kristoff Camps) Daunik Lazro. Fou Records FR-CD 63.
https://fourecords.com/FR-CD63.htm

Sophie Agnel, Piano, Daunik Lazro, Sax baryton et Kristoff K.Roll, dispositif électro-acoustique. Voilà bien un album de musique improvisée bruitiste, introspectif, focalisé sur le sonore où les instruments acoustiques et les sons produits par les machines s’agrègent distinctement, coexistent avec lisibilité sans se dissocier, interagissent pour ensuite s’interpénétrer. Daunik Lazro fait à la fois gronder, s’écrier et se déchirer la vibration de la colonne d’air. La paire K.K.R. émet des voix, des bruissements électrisés, des bruits gris, bleus ou blancs, des crachotements radio alors que Sophie Agnel titille les touches de son clavier, percute les cordes bloquées, griffe les torsades du câble tendu à outrance, la table d’harmonie gémit, le sax murmure dans les graves laissant osciller une harmonique mourante. Oscillations des cordes graves sous le battement isochrone délicat des marteaux en decrescendo alors que des sifflements s’échappent et s’éloignent. Duo à petites touches hésitantes piano – baryton suave invitant KKR à hululer dans le lointain. Invocation évocation éthérée de Daunik... parasitages, la musique s’éteint comme par enchantement…etc.. Une musique no man’s land. Au départ c’est une photo, 31’’ enregistrées le 14 décembre 2020 au Carreau du Temple à Paris. Leur longue improvisation semble s’inscrire en nous en un éclair comme si tout allait vite alors que leur musique est désespérément lente. Dans ce registre sonore, on atteint aussi rarement l’étrange, le divinatoire, l’inédit, le familier tout à la fois.
Remarque : Sophie Agnel avait enregistré un album avec Lionel Marchetti et Jérôme Nottinger à l'époque lointaine du label Potlatch : Rouge Gris Bruit (2001) et plus récemment Marguerite d'Or Pâle avec Daunik Lazro chez Fou Records. Daunik Lazro et Kristoff K.Roll s'étaient commis dans Chants du Milieu (Creative Sources 2009). Ces démarches sont prémonitoires du présent enregistrement qui en cumule et en accumule les mystères et les audaces.
L’hiver sera chaud soit quarante minutes et plus à Athénor-CNCM à St Nazaire. Des voix hèlent dans une manifestation « L’hiver sera chaud ». On est en rue et il est question de misère et de colère. Une voix s’exprime dans une langue inconnue, une foule s’encourt… La voix du sax baryton s’élève, les touches du piano sont écrasées, des voix mugissent, la musique murmure, l’écho des rues s’intègre au souffle grinçant du sax baryton,à l’électro-acoustique qui crachote, des notes de piano sont égrenées sur la harpe. Une musique étrange de sons et de silences, de voix sous le boisseau, de grincements d’harmoniques et de graves de la colonne d’air du sax, d’incursions bruitistes dans la caisse du piano et sur les clés, de bruits sourds… indéfinis. Une montée en puissance sonore et des changements de registres, effets percussifs électriques, ressac électro-acoustique, martèlement lointain des touches du piano, changements de paysages, introspection, exploration, bruissements. La métamorphose des sons musicaux, des bruits interpénétrés et des murmures font ressentir l’écoulement ralenti de la durée comme si nous allions y passer la nuit. Ça vente, ça grince. Une consubstantialité s'établit entre leurs pratiques d'apparence divergentes. Les deux instruments sont entourés de la magie des éléments, vents, souffles, murmures, grésillements électro-acoustiques du tandem KKR telle une nature sauvage, le bruit d’une ville détruite. Quand vient poindre le son fragile du sax baryton sur la pointe des pieds et la frappe de graves du piano où s’engouffre un sourd ostinato électronique, une dimension onirique, rétive et folle éclot. Une voix latino-américaine surgit et s’efface dans le bruit blanc, le sax appelle un instant. Le poème sonore s’éternise, l’écoute se focalise sur des détails infimes… la ligne de force s’échappe, s’évanouit… Le sax baryton mugit en arc-boutant ses harmoniques sifflantes, tout autour le reste se volatilise, s’éclate, le piano martelé, l’électro-acoustique ronfle et siffle, elle strie les fréquences…
On aboutit peu à peu dans ce temps long à un sentiment d’insécurité, à une remise en question radicale qui fait écho à celui du trio LDL de In the endless wind. Ces deux albums,Quartet un peu tendre et In the endless wind, une fois mis côte à côte et écoutés l’un à la suite de l’autre et vice et versa, visent l'inédit, l'essence de la recherche sonore, l'intersection réitérée de l'indéfini et de l'infini.

J-M Van Schouwburg
22 mai 2024

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SOPHIE AGNEL, KRISTOFF K. ROLL & DAUNIK LAZRO
QUARTET UN PEU TENDRE
FOU RECORDS - FR-CD 63

D'emblée nous sommes dans les mots, à propos d'une photo, d'une femme qui crie.
La voix est celle d'un homme et le ton, celui du constat.
La concentration est palpable.
On imagine les corps penchés au-dessus de l'ouvrage.
Au-delà du texte, un saxophone trace une ligne attentive au grondement sourd des machines, un piano égrène la brièveté de notes étouffées, un cri soudain brise l'immobilité de l'instant…
Cinquante secondes ont passé et, déjà, l'engagement du quartet a soumis notre écoute à l'exigence de ses enjeux.
Dès leur retour d'Afrique, en 2001, les Kristoff K. Roll - comme Godard disait "Les Straub" - avaient invité Daunik Lazro pour l'enregistrement du "Petit bruit d'à côté du bord du Monde", un double album réalisé par des artistes mécanos dont le regard m'évoquait l'aspect documentaire et la poésie de Chris Marker.
L'expérience avait dû se révéler positive puisque, huit ans plus tard, le trio récidivait avec "Chants du milieu".
Le saxophoniste, pour sa part, conviait Sophie Agnel en 2007 au sein de Qwat Neum Sixx, avec Michael Nick et Jérôme Noetinger, puis, dès l'année suivante, rejoignait le duo qu'elle formait avec Olivier Benoît pour graver "Gargorium", dont le vinyle vient de paraître chez Fou Records.
Les deux ami·e·s se croiseraient de nouveau en 2016 pour une tournée en Russie au cours de laquelle ils cultiveraient une bien belle "Marguerite d'or pâle".
Quant à la pianiste, si elle n'a jamais, à ma connaissance, franchi les portes d'un studio avec Carole Rieussec ou Jean-Christophe Camps, elle a, depuis trente ans, côtoyé assez de dispositifs électroacoustiques pour se sentir aussi à l'aise en leur présence que devant l'ivoire, l'ébène et l'acier de son propre instrument.

Deux pièces composent le présent album : "Au départ c'est une photo", saisie A l'Improviste en décembre 2020, au Carré du Temple, à Paris, et "L'Hiver sera chaud", captée un an plus tard à l'Athénor de Saint-Nazaire.
En dépit de leurs notables différences, ces deux improvisations participent de la même esthétique et délivrent un son d'ensemble à la fois unique et disparate.
C'est sans doute cet aspect composite, pétri du désir et de la personnalité de chacun mais uni en un seul et même propos, qui détermine le caractère si particulier de cette musique.
La diversité des matières se laisse bientôt oublier et, pourtant, chaque son conserve son identité.
L'acier griffé par les ongles de Sophie Agnel, les notes perlées au bout de ses doigts sont parfaitement identifiables, mais leur intensité résonne également dans les craquements et les chuintements de l'électronique.
Le baryton de Daunik Lazro rugit dans les mêmes rues que les manifestants interceptés par les machines.
Le froissement métallique saisi par le micro de Carole Rieussec pourrait jaillir du cadre du piano.
On ne sait plus à qui attribuer ces feulements organiques, ces accents cuivrés ou la majesté symphonique de ces accords étirés comme le vent dans les tuyaux d'un orgue.
Alors on s'abstrait de ces vains repérages pour s'abandonner au seul plaisir d'une étrange proximité.
La tendresse se fait rare par les temps qui courent…
En d'autres termes, il faut être sacrément culoté pour oser un tel intitulé !
A moins, peut-être, que cette unité attentive à l'identité suggère une forme de respect capable de réchauffer l'âme quand la différence est à ce point malmenée qu'il faut intégrer un modèle si l'on veut subsister.
C'est ce que nous révèlent ce cuivre incandescent, le train furieux de l'électronique, la course effrénée des doigts sur le clavier et les manifestants qui battent le pavé : quand la violence est au pouvoir, c'est la tendresse qui descend dans la rue.

Joël Pagier
in Revue & Corrigée n° 140

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Sophie Agnel/ Kristoff K. Roll/ Daunik Lazro Quartet un peu tendre (FR-CD 63).
Sophie Agnel : piano, Daunik Lazro : saxophone baryton et Carole Rieussec & J-Kristoff Camps (sous le nom de Kristoff K.Roll) - instruments électroacoustiques.
Enregistré dans deux lieux différents en France - décembre 2020 (piste 1), novembre 2021 (piste 2).
72 minutes au total.

Pour écouter Quartet, il convient de commencer par un examen attentif de la pochette de l'album, et surtout des deux vastes tables sur lesquelles roulent les instruments électro-acoustiques du duo, Kristoff K., des objets usuels, des instruments acoustiques, des ordinateurs portables et des câbles. Le piano et le saxophone baryton complètent cette infinité de possibilités sonores. Les artistes nous servent deux longues histoires qui semblent être des improvisations ... bien planifiées. Chacune d'entre elles possède une dramaturgie distincte - la première semble être une contemplation théâtrale avec une voix off étudiée, la seconde un manifeste politique nerveux, où l'action succède à l'action, et où un chœur de manifestants échantillonné ajoute de manière répétée un contenu (peut-être) important. Mais avant tout, concentrons-nous sur les sons musicaux, qui forment un cosmos infini tout au long des soixante-dix minutes et plus de l'album.
La performance commence par la voix d'une voix off, autour de laquelle règnent des parcelles d'acoustique et un murmure polyrythmique provenant de tables remplies de merveilles sonores. La narration, bien que se déroulant à un rythme loin d'être majestueux, semble pleine d'événements - le travail silencieux d'un piano préparé et d'un baryton, un filet d'électroacoustique déroutant et intriguant et des voix, masculines et féminines. L'absence d'évidence de cette improvisation contrôlée n'incite pas à situer l'action du quatuor dans un cadre esthétique. La narration semble totalement maîtrisée, même si, à plusieurs reprises, des phonèmes arrivent et nous surprennent. D'un côté, il y a une certaine retenue dramatique - après tout, il vaut mieux riffer moins que surjouer une phrase ; de l'autre, il y a un accord pour des touches de bravade, surtout de la part du duo d'échantillonnage. Les deux instruments acoustiques jouent bien dans ce melting-pot d'événements. Ils ne poussent pas l'émotion, ils sont exactement là où ils doivent être pour maintenir l'émotion de l'histoire. Le chroniqueur ne peut s'empêcher de noter des moments particulièrement intéressants dans l'histoire, qui dure un peu plus de deux quarts d'heure. À la 9e minute, nous entendons un passage intéressant de pulsations de synthétiseur de basse, vers la 17e minute, de beaux bourdons de saxophone recouverts de poussière électroacoustique, et peu après, une courte phase post-acoustique réalisée uniquement à partir des tables. À partir de la 24e minute, en revanche, le quatuor tombe dans un sommeil post-mélodique, faisant une promenade somnambulique dans la nature sauvage du son. Dans les dernières minutes de l'histoire, la mélodie Love de Cotrane est prise dans un enchevêtrement électroacoustique. Son final s'avère être un point culminant très compulsif, après lequel l'ambient meurt pour de bon.
La deuxième histoire dure plus de 40 minutes, mais commence dans le calme de la phonation ambiante, des voix d'adultes et d'enfants, des murmures, des conversations chargées d'émotion, peut-être menées sur des sujets importants. Les sons des instruments vivants semblent rester à l'écart, figés face aux phrases échantillonnées de la réalité inconnue de la rue. On a l'impression que certaines phrases de saxophone et de piano ont été traitées électroniquement. Après la septième minute, des incidents plus importants commencent à apparaître dans la structure de l'histoire et l'ensemble prend une tournure dramatique. D'un côté, des mélodies de synthé, de l'autre, des phrases saccadées et brisées d'instruments acoustiques, des accents de percussion et des plages de synthétiseur de basse. L'histoire ondule, mais se refroidit rarement au niveau d'un silence ronronnant. Les artistes se chargent des émotions, en nous donnant constamment les sons d'une manifestation de rue - cris, grincements, conversations bruyantes. Vers 15 minutes, le saxophoniste devient plus actif. Ici, il pare les taches de phoniques variées. Les sons intérieurs de piano et les taches colorées d'ambiance ne manquent pas. À la vingtième minute, nous entrons dans un tourbillon de râles et de murmures électroacoustiques, auxquels s'ajoute un flux debaryton dansant. D'un côté, le chant des cuivres, de l'autre, la réalité inquiétante de l'extérieur de la fenêtre. L'histoire grimpe jusqu'au sommet, puis s'éteint dans le silence. Et ainsi de suite presque jusqu'à la fin - l'histoire semble se diviser en épisodes marqués par de courtes périodes de froid. Là encore, beaucoup repose sur les épaules du saxophoniste, qui, vers la trentième minute, amène le récit à un point d'ébullition proche du free jazz. Tout hurle, palpite, suinte du rythme intérieur, jusqu'à mourir dans un flot d'eau... qui coule. Le dernier épisode est encore plus émouvant : les couches synthétiques et acoustiques atteignent leur paroxysme. En outre, des phrases verbales échantillonnées sont synthétisées et se transforment en une bande de glitchs électroniques auditivement aigus. Le saxophone et le piano cherchent des phrases dignes de porter le bagage de l'émotion, moribondes dans les convulsions, tandis que le synthé et le post-acoustique meurent tranquillement, figés dans un sentiment de résignation. Une poignée de respirations et de sifflements humains couronnent l'œuvre. On aimerait savoir quel sort a été réservé aux manifestants assoiffés de sang.

Andrzej Nowak
https://spontaneousmusictribune.blogspot.com/2024/07/fou-records-quartet-un-peu-tender.html

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Quartet un peu Tendre

Sophie Agnel (p), Kristoff K. Roll (disp électro-acoustique), Daunik Lazro (bs).

Label / Distribution : Fou Records

Le bourdonnement émis par le saxophone baryton défie les tumultes vocaux générés par les dispositifs électro-acoustiques. Tendre ou détendre, comme s’il s’agissait de régler la peau d’une timbale, ici Daunik Lazro diffuse ses phrasés accolés au hurlements produits par les machines. « Au départ c’est une photo », enregistré au Carreau du Temple à Paris pour l’émission À l’improviste d’Anne Montaron se dévoile et donne à entendre des synchronisations éphémères entre Carole Rieussec et J-Kristoff Camps. Seules les manipulations des cordes du piano par Sophie Agnel déploient des cellules rythmiques qui tendent à souligner les timbres préexistants. L’échantillonnage génère là des vocaux enfantins accolés à une implosion sonore dynamique, par la suite la rapidité avec laquelle les déversements s’exécutent avec les effets électroniques étonnent.

Différents passages entre des spirales aériennes et une profondeur spectrale annoncent splendidement le phrasé de Daunik Lazro, l’artefact conjugué entre les musicien·ne·s prend corps. Le lien commun qui se dessine entre les notes égrenées par la pianiste et le chant altéré du saxophoniste aboutissent à l’exaltation de cette expérimentation.

De nombreux signaux émis par les dispositifs électro-acoustiques forment des interactions fébriles. La montée en puissance se veut progressive, permettant au piano de répandre quelques notes. La dislocation d’une jungle sonore se déverse par l’intermédiaire de l’assemblage électronique dans la partition de « L’hiver sera chaud », enregistré à Saint-Nazaire à l’invitation de Brigitte Lallier-Maisonneuve. La pièce, mue à 21 minutes par l’expressivité du saxophone lancinant et l’interactivité entre les instrumentistes, s’énonce plus fortement avec une libération spontanée à 29 minutes.

Les différents schémas sonores diffusés dans ces deux enregistrements distincts, à la fois composés et improvisés par le quartet, donnent naissance à d’intenses transformations de matériaux et à une expressivité fusionnelle délectable.

par Mario Borroni // Publié le 8 juillet 2024

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