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Didier Frébœuf
piano, mélodica
Jean-Luc Petit
saxophones ténor & sopranino
clarinette contrebasse
extraits :
Skin
Scab
Crisp
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Comme une conversation où chacun aurait commencé par une simple articulation polie pour vite
en révéler l'impertinence, plongée scrutante vers les aspérités du saxophone, pendant que Didier Fréboeuf
construit l'étrange d’accords contemporains, Jean-Luc Petit interroge, élabore tous les possibles de son
ténor, sa suavité, son irritation, ses douceurs, ses tremblements, ses rondeurs. Le saxophoniste longe,
prolonge, perturbe, gronde le son, puis le dédouble, l'apprivoise, l'apaise, le fait cri ou plainte et Didier
dissipe les cordes de son piano pour converser encore et les amener au conciliabule. Petites notes frappées
ou soufflées comme des vibrations insolentes, ils se poussent l'un l'autre dans une accélération ludique.
Pas de concession, de l'invention constamment.
Jean-Luc prend sa clarinette contrebasse, Didier prépare son piano pour bloquer ce son qu’ils découpent
maintenant pour mieux l'iriser ensuite. Jean-Luc joue toutes les couleurs de l'instrument, camaïeux, noir
et blanc pour les oppositions. Ils se mettent tous deux à frisotter. Les accords de Didier, parcimonieux,
engagent Jean-Luc à une sobriété provisoire dont il extrait immédiatement quelqu’instabilités, d’abord
voluptueuses, puis ensorcelantes et finalement hystériques. Des râles chantants à la beauté obscure s'en
dégagent... En émergent un dernier souffle profond, grave, somptueux.
Sans trêve, tous deux en viennent aux piaillements, fantaisie galopante, dextérité intense. Les sons
volètent embarqués dans les accélérations folles où l'insatisfaction et l'exigence du plus encore servent de
moteur. Jean-Luc use de toutes les possibilités de son sopranino, le cerne, l'encercle, l'étouffe juste ce
qu'il faut pour qu'il danse encore comme ces cordes que Didier déguise.
Pour n'en pas finir, ce dernier envoie un souffle de claviett’harmonica, titillant alors un Jean-Luc qui,
retrouvant sa clarinette contrebasse, nous livre alors des sons mystérieux comme si nous devions traverser
ensemble, à pas lents, un sous-bois en pleine nuit, entourés d’un brouillard inquiétant…
S'il existe, que Dieu soit loué… Tout comme eux, nous en sortons vivants !
Anne Maurellet
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Crusts Didier Fréboeuf & Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 48
https://fourecords.com/FR-CD48.htm
Duo piano et anches. Plus exactement, Didier Fréboeuf, le pianiste, est aussi crédité clavietta et objets et le souffleur Jean-Luc Petit, sax ténor et sopranino ainsi que clarinette contrebasse. Trois Crusts (trad. littérale croûtes) intitulées Bark (16:44), soit écorce, Scab (12:14) soit gale … ou croûte et Crisp (16:03), soit croustillant. Titres pas mal choisis par rapport à la musique improvisée qu’ils jouent toutes oreilles l’un vers l’autre : ces deux-là ne restent pas à la surface des choses. Ils travaillent en profondeur leurs échanges en développant une belle variété de modes de jeux tant au clavier et dans les cordages qu’ aux anches. J’apprécie le jeu sec et mordant, elliptique et contemporain de Jean-Luc Petit au sax ténor à travers différentes phases de jeu face au travail concis sur l’approche rythmique et le toucher de Didier Fréboeuf, un musicien à la fois expérimenté question harmonies et au savoir schoenbergien mis en pratique de manière spontanée (Bark). La deuxième improvisation est un peu un challenge des « opposés » : face aux dix doigts et deux mains maniant le clavier et toutes leurs possibilités, le souffleur a choisi d’emboucher son énorme clarinette contrebasse plus propice à créer des sonorités étranges que d’articuler d'agiles phrases mélodiques vu la grande « gravité » de l’instrument . Se basant sur l’écoute mutuelle, l’imagination et le goût pour le sonore du très grave bourdonnant à l’extrême aigu d’harmoniques difficiles à contrôler de cette clarinette hors norme, un dialogue fructueux se crée au fil des minutes. C’est tout à l’opposé dans Crisp où Jean-Luc Petit souffle dans son très volubile sax sopranino dont il maîtrise la technique et les hauteurs de chaque note. Il finit par colorer, saturer / grincer l’anche et le tube et faire sursauter son jeu par-delà clés et intervalles distendus face aux ostinatos et cadences mouvants et complexes du pianiste. Le jeu du chat et de la souris ou alors les gambades d’un écureuil feu-follet au milieu des écorces et feuilles mortes jonchées sur le sol à la recherche des noix, châtaignes et noisettes dont il rejette les écorces pour les grignoter ou qu’il rassemble pour les cacher sous les feuilles et la mousse jusqu’à l’hiver, afin d’ avoir plus d’un tour dans son sac comme nos deux improvisateurs. On croit l’entendre ronger son frein d’ailleurs en fin de parcours quand les doigts de Fréboeuf glissent sur le mince boudin fileté des cordes du grand piano.
Un très bon album qui fera un beau cadeau à une amie ou un ami en manque de musiques à écouter. C’est vrai que j’ai peine à entasser tous ces CD’s dont je vous abreuve de chroniques alambiquées ou déraisonnables.
Jean-Michel Van Schouwburg
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Didier Frébœuf - Jean-Luc Petit
Didier Frébœuf : p-clavietta-objets / Jean-Luc Petit : ts-sps-cbcl
Fou Records / Les Allumés du Jazz
Deux territoires que l’on croyait tout d’abord étroits s’élargissent. Le souffle du saxophone ténor s’affirme, le piano délaisse son antre, crispe l’harmonie. L’arc se tend, les harmoniques affleurent, le sifflement s’offre au silence. Le dialogue se porte large, s’épaissit avant de s’évanouir sans préavis (Bark).
Au début était le rythme et ses possibles échappées. L’un et l’autre s’accordent pour ne pas envahir le cercle tout en refusant le diktat des rythmes. Rythmes encerclés ou émergeants laissant à la clarinette contrebasse le choix de caqueter ou de fignoler l’ultra-aigu. Maintenant les harmonies s’indisposent, les oppositions ne se taisent plus. Le silence interrompt l’échange (Scab).
Haussement de ton entre sopranino et piano. Improvisation débridée, plays et bosses, heurts et carambolages. Ils en oublieraient presque de respirer. Les fauves se lâchent. Ou plutôt des moustiques teigneux et voraces. Résonnent désormais les souffles salivaires et les cordes frottées. Ces mêmes souffles deviennent pénombres. Et la nuit prend place (Crisp).
Soit Didier Frébœuf et Jean-Luc Petit captés (magnifique mise en sons et espaces) à l’Impromptu de Bordeaux le 11 novembre 2022 par monsieur Fou Records alias Jean-Marc Foussat, « l’enregistreur » de tous les possibles.
Luc BOUQUET
https://www.jazzin.fr/didier-freboeuf-jean-luc-petit-crusts/
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JEAN-LUC PETIT / DIDIER FREBOEUF
CRUSTS
FOU RECORDS, FR-CD 48 – 2023
Derrière sa silhouette de Bouddha, son profil louis-philippin et sa tignasse léonine,
tendance Ferré, Jean-Luc Petit cache une passion plurielle pour l'improvisation et une
curiosité tous azimuts pour les instruments à anche. On le voit ainsi régulièrement
pratiquer le grand écart entre le saxophone sopranino et la clarinette contrebasse, de solos
gravissimes ou sourdes alliances ("Double basse" avec Benjamin Duboc) en rencontres
percutantes (Mathias Pontevia, Benoît Killian), venteuses (Christiane Bopp) ou électrifiées
(Jérémie Baysse, Fabrice Favriou). Ses faux airs de loup solitaire ne l'empêchent pas de
fréquenter des sociétés plus imposantes tels que les Barbares et le Grand Fou Band de
Jean-Marc Foussat sans oublier, bien sûr, l'Ensemble UN et ses "expérimentations
collectives spontanées". En clair, le natif d'Angoulême déplace beaucoup plus d'air dans ses
colonnes que son apparente placidité pourrait le laisser présager.
On retrouve d'ailleurs le sopranino et la clarinette contrebasse de Jean-Luc sur une barre
d'équilibre oscillant de part et d'autre de son ténor au long de cet album enregistré pour
Fou Records avec le pianiste et ici mélodiciste Didier Fréboeuf. Instrumentiste classique très
vite happé par l'improvisation, ce dernier, qui compose aussi bien pour le théâtre que pour
la danse ou le cinéma d'animation quand il ne collabore pas avec le batteur Bruno Tocanne
ou ne guide pas son quartet, MOX, entre les variations de la pesanteur, a déjà enregistré
une trentaine d'albums dont le manifeste "Piano Sounds". C'est néanmoins sur des sentiers
plus escarpés et surtout plus aventureux que le souffleur a choisi d'entraîner son
partenaire, au risque de le perdre face aux vicissitudes d'une liberté nettement plus
ébouriffante. Les dangers en question apparaissent au demeurant sous des formes
diverses. Selon que le ténor fonce à bride abattue le long de précipices largement ouverts,
trace des éclairs zigzagants dans la nuit ou tord le cou de la bienséance par la raucité de
ses cris, que le sopranino déchire l'atmosphère du tranchant de ses aigus ou que la
clarinette suggère l'oppressante domination de parois vertigineuses, les réactions et
anticipations à venir du pianiste seront aussi hétérogènes que si elles dérivaient de
matériaux disparates. Dès lors, Didier Fréboeuf va devoir ausculter chaque touche du
clavier, opposer les clusters aux notes perlées, fouiller le ventre du monstre pour en
extirper des claquements sourds, de profonds grondements ou le scintillement de cordes
lumineuses suscitées à même le cadre. Sautillant sur l'ivoire ou s'appesantissant sur
l'ébène en fonction d'arabesques virevoltantes ou se posant, le pianiste empoigne le son et
souffle sur le silence avec une maîtrise témoignant à la fois de sa pratique diverse et de
son investissement. Cette implication artistique et technique offre à Jean-Luc un espace
d'expression assez unique dont il use avec toute la gourmandise et, cependant, la
parcimonie souhaitable, alternant les fulgurances libertaires et les plages méditatives avec
la rigueur d'un architecte épicurien conscient de la fragilité de sa propre jouissance.
Sculptée à même la matière par deux esthètes épris de justesse, cette musique aussi libre
qu'on peut l'être s'épanouit devant nous avec l'intelligence et la spontanéité d'un propos
mûri de longue date et pourtant exprimé sur l'instant. C'est l'histoire individuelle de chacun
qui s'énonce ici dans le choc de la rencontre et sa véracité ne peut être plus suspecte que
l'authenticité du plaisir ressenti à son écoute.
Joël Pagier