Europe & Monde = 15,00 €
Europe & Monde + Suivi = 17,00 €
France = 13,50 €
France + Suivi = 15,00 €

 

 

 


 

DUO

Jean-Jacques Avenel : contrebasse
Daunik Lazro : saxophone alto


 

extraits :

?John Tchicai in West-Africa meets Jimmy Lyons in Maghreb
Cordered


 

 

 

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DUO Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro Bibliothèque de Massy 13 novembre 1980 . FOU Records FR-CD 68
https://www.fourecords.com/FR-CD68.htm


Encore un témoignage enregistré qui nous vient d’une époque pas tout à fait révolue. Daunik Lazro est à mon avis, au sax alto, le souffleur « free » central en France, je veux dire au cœur de l’extrême. Sans concession par rapport aux conventions en vigueur au sein du jazz ou du classique ou des variétés. Son camarade Jean-Jacques Avenel y contribue avec le plus grand bonheur. La musique de la liberté avec quelques formules de départ que les deux artistes tourneboulent, griffent, excèdent, éclatent. On se souvient du vocable qui fit florès dans l’univers du « free » hexagonal : le folklore imaginaire. En voici un exemple vivant, vivifiant, expressif, sauvage. Le souffleur assène des boucles qu’il accentue énergiquement, des fragments d’éructations dolphystes qu’il combine adroitement en en modulant sauvagement la métrique. Et par surprise pulvérise leur articulations à coups de langue sur l’anche, vocalisations (on pense à la ghïta d’Afrique du nord) et multiphoniques. L’archet du contrebassiste virevolte, se fait sourd et sombre, lyrique ou irisé transitant par différents états émotionnels et ondulations sonores. Une comptine aussi (Cordered), dédiée à Lacy et Braxton. Un thème vraiment intéressant (intervalles, construction mélodique, accents rythmiques) digne des grands free-jazzmen (Roscoe, Byard Lancaster) et variations free enflammées. Ce disque est une merveille car il nous confie l’enregistrement le plus clair du phénomène Lazro et le rapport intense qu’il entretenait alors avec son ami Jean-Jacques Avenel. Celui-ci se surpasse et démontre une grande qualité à échafauder tous les plans possibles pour bonifier la musique avec les ressources de son jeu multiforme. Du grand art ! Celui de la giration infinie sans tourner en rond. La qualité de l’enregistrement , les nuances de leur musique en vivant surpasse aisément celles confiées au sillon dans l’album solo et duo de D.L. avec JJA publié par Hat Hut sous le titre The Entrance Gates at Tshee Park. DUO est une pièce essentielle du « free » en France. On n’est jamais mieux servi que par soi-même et Jean-Marc Foussat, le preneur de son providentiel. Grâce lui soit rendu à J-MF ! Notez quand même que si ce disque est très fidèle à la musique du duo avec toutes ses nuances, on trouve ici un jeu calibré mais intense, sans doute en relation avec le lieu et son espace, et l’attention du public. Dans d’autres circonstances, Lazro pouvait se révéler plus déchaîné, expressionniste, flamboyant à l’extrême (cfr le CD ECSTATIC JAZZ du trio Lazro Avenel et Siegfried Kessler/ FOU Records FR-CD55 : plus que ça tu meurs !!). Ici il se concentre sur le contenu musical en variant les effets à l’envi et en les métamorphosant avec une belle énergie sans devenir redondant. En cela, il est vraiment choyé par son camarade, le contrebassiste Jean-Jacques Avenel, devenu plus tard un des piliers de l’équipe Steve Lacy, c’est dire. JJA est inspiré et inspirant, renouvellant les formes, les élans, les angles de fuite, plein d'énergie. Ces artistes sont avant tout sincères et authentiques, ils jouent dans l’instant afin de construire la plus belle musique possible sans chercher à impressionner le public, seulement à lui parler au cœur.

Jean-Michel Van Schouwburg

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JEAN-JACQUES AVENEL-DAUNIK LAZRO « Duo »
Jean-Jacques Avenel (contrebasse), Daunik Lazro (saxophone alto)
Bibliothèque de Massy (Essonne), 13 novembre 1980
Fou Records FR-CD 68 https://fourecords.com/FR-CD68.htm

DAUNIK LAZRO - TRISTAN HONSINGER – JEAN-jACQUES AVENEL «True & Whole Tones in Rhythms»
Daunik Lazro (saxophone alto & tubausax), Tristan Honsinger (violoncelle, voix), Jean-Jacques Avenel (contrebasse)
Paris, 28 rue Dunois, 9 mai 1982
Fou Records FR-CD 66 https://fourecords.com/FR-CD66.htm

Deux nouveaux inédits de Daunik Lazro : après Annick Nozati,un autre héros disparu de la musique (très) libre , le contrebassiste Jean-Jacques Avenel. Dans le premier volume, en duo, une rencontre fantasmée entre John Tchicai en Afrique de l’Ouest et Jimmy Lyons au Maghreb ouvre la voie d’une musique très ouverte, où d’écho en écho transparaissent toutes les passions de ce temps-là. Puis un double hommage à Steve Lacy et Anthony Braxton où se jouent, dans le même geste, le funambulisme et l’imagination créatrice.

L’autre disque, en trio avec le violoncelliste Tristan Honsinger, capté dans ce lieu qui demeure mythique, le Dunois historique, au 28 de la rue du même nom, nous fait entendre des improvisations autour de motifs de chacun, dont l’un figurait déjà dans le CD évoqué ci-dessus. Avec aussi un texte d’Antonin Artaud. Daunik Lazro utilise à un moment donné le ‘tubausax’, saxophone alto augmenté d’un tube entre le bocal et le corps de l’instrument. De l’aveu du saxophoniste,il a emprunté cet artifice à Michel Portal. Sylvain Kassap avait aussi utilisé cet accessoire.

Deux témoignages vivants d’un temps qui, quoi qu’on en dise, n’est pas révolu….

Xavier Prévost

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Duo
LAZRO / AVENEL
Jean-Jacques Avenel : contrebasse, Daunik Lazro : saxophone alto
Fou Records
/ Les Allumés du jazz
Date de sortie 06/12/24
Enregistré à la Bibliothèque de Massy, 13 novembre 1980.

La première pièce intitulée John Tchicai in West-Africa meets Jimmy Lyons in Maghreb, la deuxième simplement Cordered mais avec une dédicace « for Steve Lacy & Anthony Braxton », c’est peu de dire que ces exhumations – qui viennent tardivement étoffer la discographie d’un duo qui, comme tel, n’avait jusqu’ici livré qu’un seul album1 – nous parviennent inscrites dans une histoire. Une histoire qui paraît tout à coup à la fois proche et lointaine.

En 1980, Lacy, Braxton, John Tchicai, Jimmy Lyons avaient ouvert grand pour les uns, arpenté pour les autres des espaces neufs. Des noms, des repères ; aujourd’hui des stèles.

John Tchicai in West-Africa meets Jimmy Lyons in Maghreb : une seule note essentiellement, frictionnée de l’archet, mise en rotation par des arpèges serrés et rèches, accélérée, lancée soudain, lâchée comme la pierre d’une fronde – mais qui reviendrait comme un boomerang, chargée d’un morceau de ciel arraché à l’horizon, un Nord affolant une boussole jusqu’à lui faire pointer le Sud. Nous sommes tout à coup vipère ou cobra quand l’alto de Lazro se mue sans prévenir en zurna de charmeur de serpent marrakchi. Et devant le frêle étagement qui s’élève de cette cellule tournoyante et sa volée d’étincelles il semblerait qu’en effet opère un charme qui évoquera aussi bien les noires tropiques, celui-là même qui avait attiré Avenel vers la kora. Pour cela, il faut plonger dans l’élément du son, ce que réalise superbement l’enregistrement2 parvenant de ce fait à abolir ce qui sépare hier d’aujourd’hui. Hier, quand une bibliothèque osait offrir cela à ses usagers, live ! Aujourd’hui, quand elle liquide ses collections. Histoire rendue proche, donc, et demeurant lointaine, désormais objet de convoitise : un peu comme le pot de confiture en haut de l’armoire aux yeux de l’enfant juché sur une chaise branlante – image elle-même un rien datée…

Lacy, Braxton invitaient à reconsidérer la mélodie par la répétition, à décomposer le son en ses éléments premiers. Il y a tout cela aux premiers échos de Cordered, tout cela et bien sûr davantage : en rien œuvre d’épigones, on assiste au contraire au retour de ce service. Un appareillage pour la haute mer, mobilisant l’énergie pour l’aventure et la découverte, non dépourvu d’interrogations. Frises de suraigu, engorgements, questionnements fiévreux, muqueuses irritées, ritournelles savonnées d’une part ; évasions rêveuses arco, saisies au vol du bout des doigts ou à pleine main, comme la prise au vent d’un vieux gréement de l’autre ; ce sont des épousailles sensuelles au coeur des éléments. Cela claque, craque, siffle et chuinte – et chante, toujours. Après quelques secondes d’applaudissement, un soupir a été conservé : « Terre » !

Philippe Alen

1 The Entrance Gates of Tshee Park (Hat Hut, 1980), deux plages enregistrées exactement un an auparavant en novembre 1979.

2 Jean-Marc Foussat aux manettes…

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à l'ANCIENNE BRASSERIE BOUCHOULE 2 rue Émile Zola 93100 MONTREUIL-SOUS-BOIS samedi 14 décembre 2024 14h30
4ème ÉDITION DU MARCHÉ DE NOËL DES MUSIQUES INCLASSÉES
Des discussions intéressantes avec Richard Comte, Jean-Marc Foussat et Quentin Rollet !
… Y compris, l’achat des deux CD FOU Records suivants :



J-J. AVENEL S. KESSLER D. LAZRO ecstatic jazz Crypte des Franciscains (CD Fou Records FR-CD 55 1982-2023)
Jean-Jacques Avenel Daunik Lazro DUO Bibliothèque de Massy (CD Fou Records FR-CD 68 1980-2024)

Ces deux CD du label FOU de Jean-Marc Foussat représentent des hommages splendides à trois free jazzmen européens essentiels (Jean-Jacques Avenel, Siegfried Kessler et, seul survivant, Daunik Lazro) et donc, plutôt satisfaisante quinzaine culturelle !

Olivier Ledure, 24 décembre 2024

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Duo 
Jean-Jacques Avenel / Daunik Lazro

Daunik Lazro (s), Jean-Jacques Avenel (b). Bibliothèque de Massy, 13 novembre 1980.
Fou records (FR – CD68) / Bandcamp / décembre 2024.

La première pièce intitulée John Tchicai in West-Africa meets Jimmy Lyons in Maghreb, la deuxième simplement Cordered mais avec une dédicace « for Steve Lacy & Anthony Braxton », c’est peu de dire que ces exhumations – qui viennent tardivement étoffer la discographie d’un duo qui, comme tel, n’avait jusqu’ici livré qu’un seul album1 – nous parviennent inscrites dans une histoire. Une histoire qui paraît tout à coup à la fois proche et lointaine.
En 1980, Lacy, Braxton, John Tchicai, Jimmy Lyons avaient ouvert grand pour les uns, arpenté pour les autres des espaces neufs. Des noms, des repères ; aujourd’hui des stèles.
John Tchicai in West-Africa meets Jimmy Lyons in Maghreb : une seule note essentiellement, frictionnée de l’archet, mise en rotation par des arpèges serrés et rèches, accélérée, lancée soudain, lâchée comme la pierre d’une fronde – mais qui reviendrait comme un boomerang, chargée d’un morceau de ciel arraché à l’horizon, un Nord affolant une boussole jusqu’à lui faire pointer le Sud. Nous sommes tout à coup vipère ou cobra quand l’alto de Lazro se mue sans prévenir en zurna de charmeur de serpent marrakchi. Et devant le frêle étagement qui s’élève de cette cellule tournoyante et sa volée d’étincelles il semblerait qu’en effet opère un charme qui évoquera aussi bien les noires tropiques, celui-là même qui avait attiré Avenel vers la kora. Pour cela, il faut plonger dans l’élément du son, ce que réalise superbement l’enregistrement2 parvenant de ce fait à abolir ce qui sépare hier d’aujourd’hui. Hier, quand une bibliothèque osait offrir cela à ses usagers, live ! Aujourd’hui, quand elle liquide ses collections. Histoire rendue proche, donc, et demeurant lointaine, désormais objet de convoitise : un peu comme le pot de confiture en haut de l’armoire aux yeux de l’enfant juché sur une chaise branlante – image elle-même un rien datée…
Lacy, Braxton invitaient à reconsidérer la mélodie par la répétition, à décomposer le son en ses éléments premiers. Il y a tout cela aux premiers échos de Cordered, tout cela et bien sûr davantage : en rien œuvre d’épigones, on assiste au contraire au retour de ce service. Un appareillage pour la haute mer, mobilisant l’énergie pour l’aventure et la découverte, non dépourvu d’interrogations. Frises de suraigu, engorgements, questionnements fiévreux, muqueuses irritées, ritournelles savonnées d’une part ; évasions rêveuses arco, saisies au vol du bout des doigts ou à pleine main, comme la prise au vent d’un vieux gréement de l’autre ; ce sont des épousailles sensuelles au coeur des éléments. Cela claque, craque, siffle et chuinte – et chante, toujours. Après quelques secondes d’applaudissement, un soupir a été conservé : « Terre » !

Philippe Alen


1 The Entrance Gates of Tshee Park (Hat Hut, 1980), deux plages enregistrées exactement un an auparavant en novembre 1979.

2Jean-Marc Foussat aux manettes…

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Citizen Jazz

Avenel, Lazro en pleine lumière
Deux albums parus chez Fou Records nous remémorent de fortes personnalités.



Le catalogue Fou Records s’enrichit de deux enregistrements inédits qui célèbrent la musicalité partagée entre Jean-Jacques Avenel et Daunik Lazro, rejoints sur le deuxième album par Tristan Honsinger. Le contexte historique du jazz des années 1980 est marqué par l’émancipation progressive des musiciens français vis-à-vis de leurs collègues européens. L’improvisation radicale était jusque-là l’apanage des Britanniques, des Hollandais ou des Allemands. L’héritage du free jazz et des musiques afro-américaines demeure sous-jacent, comme on le perçoit avec les dédicaces énoncées dans le premier disque. L’expérience acquise par Jean-Jacques Avenel avec Steve Lacy et Frank Wright se mesure à celle de Daunik Lazro qui s’est lancé dans le bain musical avec Saheb Sarbib. Ces deux artistes accomplis héritent d’une polyvalence stylistique qui leur permet d’improviser sans jamais abandonner la trame poétique.


On connaît le vinyle The Entrance Gates Of Tshee Park, enregistré à Dunois et à Clichy en novembre 1979, et publié chez Hat Hut. Jamais réédité - comme bon nombre d’albums produits par Pia et Werner Uehlinger - cet enregistrement scellait un duo composé par Jean-Jacques Avenel et Daunik Lazro. 
Jean-Marc Foussat continue d’exhumer des trésors et ressuscite ce couple d’instrumentistes en publiant un enregistrement qu’il avait réalisé à la bibliothèque de Massy le 13 novembre 1980.

« John Tchicai In West-Africa meets Jimmy Lyons In Maghreb », longue pièce de près d’une demi-heure, est un voyage où l’imaginaire émerge des entrelacs de lignes instrumentales. La machine se lance sur des rails, l’ancrage au sol est robuste, mais les méandres harmoniques visent les étoiles.

Ce jeu d’équilibriste est caractéristique des deux musiciens qui construisent patiemment un processus élaboré. « Cordered (for Steve Lacy & Anthony Braxton) » fait penser aux structures lacyennes de cette époque, elles imprègnent le jeu vif de Jean-Jacques Avenel. Les articulations saccadées de Daunik Lazro contribuent à amplifier l’envergure des improvisations. La liberté qui déferle ne perd jamais pied.


« Improv Including Pat. & Ever Never », ou comment, à partir de do-ré-mi-fa-sol-la-si, la fusion sonore de trois inventeurs de rêves prend forme. La voix humaine est de la partie et la justesse du propos réserve des effets de surprise. Jean-Jacques Avenel est toujours impérial et lyrique à la contrebasse, enclin à l’abstraction. Le violoncelle de Tristan Honsinger est habité par la nervosité et l’alto de Daunik Lazro lie les conversations avec intransigeance. Le souffle se conjugue avec les cordes, des vibrations emplissent l’espace, les chants fusionnent.

« Improv Including Cordered & Canoë » s’étire sur une quarantaine de minutes, tout s’imbrique solidement, l’échafaudage prend corps et s’élève. « Cordered », déjà présent dans le disque en duo, revient un tantinet plus agile, le parcours comporte des balises. Mais des incartades surgissent, un texte d’Antonin Artaud extrait de la préface du Théâtre et son double de 1938 ainsi que l’apparition du tubausax [1]. True & Whole Tones In Rhythms sublime l’imprévisibilité.

Ces deux albums viennent à point nommé nous rafraîchir la mémoire. La restitution de ces enregistrements de ces concerts, captés par Jean-Marc Foussat, est éclatante.

par Mario Borroni // Publié le 16 mars 2025
[1] Saxophone alto augmenté d’un tube entre le bocal et le corps de l’instrument, innovation empruntée à Michel Portal, NdlR.

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À propos de deux albums avec Daunik Lazro et Jean-Jacques Avenel

Voici donc la dernière et, sans doute, l'ultime parution des enregistrements live déposés par Daunik Lazro dans la soute de Fou Records. Ce n'est pas la première fois que Jean- Marc Foussat exhume de ses coffres quelque brillant témoignage de ces années '80 qui ne furent guère plus reluisantes que notre sombre époque, mais desquelles jaillirent certaines fulgurances dont l'audace et la modernité ne le cèdent en rien devant l'inventivité de notre avant-garde contemporaine. La nostalgie n'a pas plus sa place dans le flux permanent de l'expérimentation que le déni historique. Les deux concerts ici chroniqués furent donnés à deux ans d'intervalle, mais sont fort différents l'un de l'autre et ce pour une raison simple : Daunik et le contrebassiste Jean-Jacques Avenel se présentèrent en duo le 13 novembre 1980 à la bibliothèque de Massy, mais le 09 mai 1982, le violoncelliste Tristan Honsinger répandit sur la scène du Dunois quelques grains de fantaisie que les deux compères s'empressèrent d'intégrer à leurs échanges. Le duo n'était d'ailleurs pas un parfait nouveau-né puisqu'il avait déjà, quelques mois plus tôt, enflammé le public de Béziers en compagnie du pianiste Siegfried Kessler, lors d'une prestation qui serait éditée quarante ans plus tard chez Fou Records sous l'intitulé "Ecstatic Jazz".

DAUNIK LAZRO & JEAN-JACQUES AVENEL
DUO

FOU RECORDS (FR-CD-68)

En 1980, cela fait à peine cinq ans que Jean-Jacques Avenel a quitté son Havre de naissance pour suivre le soprano de Steve Lacy à Paris. La rencontre avec Daunik Lazro, qui a déjà enregistré trois albums auprès de Saheb Sarbib, va s'avérer déterminante pour tous deux. En 1979, ils ont publié chez Hat Hut "The Entrance Gates of Tshee Park", un vinyle dont le saxophoniste occupe seul la face A, et cette première trace audible de leur collaboration exhale une vitalité significative de leur complicité, de leur culot et d'un désir commun d'en découdre avec tout ce qui bouge, vibre, souffle et tonne. Pourtant le concert de Massy, avec sa maîtrise de l'expression libre et son impressionnante maturité, nous entraîne encore aujourd'hui vers une tout autre dimension. Le tempo est rapide et les deux improvisateurs s'obstinent sur une forme de continuum ébréché dont les notes semblables rejettent la durée. La contrebasse explore les variations possibles que l'alto parsème de breaks successifs, titubant sur les embûches d'un phrasé accidenté. Rien ne semble pourtant devoir arrêter leur course, ni les irrégularités rythmiques, ni la chute probable, ni l'étroitesse de l'harmonie. Daunik enchaîne les figures dont la vitesse accentue encore le danger. Dans le sillage pressé de l'archet qui laboure l'espace, le cuivre trébuche, glisse et s'abîme dans ses propres zones d'ombre avant d'apercevoir, in extremis, une corde tendue. Le tempo, dès lors, s'affole. La pesanteur elle-même se dissout dans l'esprit des instrumentistes dont les lignes tranchantes découpent l'atmosphère en cercles concentriques. L'archet s'efface devant la puissance du pizzicato quand une mélodie tente d'émerger du chaos. Mais la liberté prime sur la scène de Massy, contenue par l'exigence  et la précision d'un propos oscillant entre folklore imaginaire, cubisme et abstraction pure, mais définitivement affranchie de toute forme préétablie.

DAUNIK LAZRO, TRISTAN HONSINGER & JEAN-JACQUES AVENEL
TRUE & WHOLE TONES IN RHYTHMS

FOU RECORDS - FR-CD-66

Deux ans plus tard, les deux hommes se retrouvent donc au Dunois pour un set en compagnie de Tristan Honsinger. Le violoncelliste compte quelques heures de vol puisqu'il a déjà croisé des personnalités telles que Derek Bailey, The Ex ou Marteen Altena, mais il est surtout un poète de l'instant qui ne néglige aucune forme d'expression pourvu qu'elle participe de son art et de sa vision transversale de la représentation. Si le Néerlandais n'a pas encore intégré l'ICP de Misha Mengelberg et Han Bennink ni l'Unit de Cecil Taylor, il a su définir un style unique où se mêlent folklore et poésie, improvisation théâtrale et humour dadaïste.
La rencontre est un choc au sens où les deux univers fusionnent immédiatement. Tous trois emploient un même langage puisant aux sources d'un jazz exonéré de toute contrainte esthétique ou morale, mais leur rapport au Monde et l'humeur qui en résulte s'avèrent plus divers. La passion qui anime le duo se nourrit aux sursauts d'une rage endémique et s'assombrit encore sous les ténèbres d'un romantisme empreint de pessimisme. La colère est chez elle dans l'alto de Daunik et le saxophoniste n'est pas près de l'en déloger. Face aux revers de la fortune et à l'inconstance de ses contemporains, il semble que le violoncelliste ait plutôt choisi le masque de l'ironie et l'impertinence de la farce. Jean-Jacques Avenel ayant opté pour un pizzicato généreux, l'archet de Tristan Honsinger virevolte sur la touche et danse sur le fil comme le fou du moyen-âge dans une chanson de geste insolente par essence. L'artiste a placé sa virtuosité au service d'une étrange gaité qui, peu à peu, imprègne l'air ambient. Le souffleur, qui perçait le sol de ses aigus, menaçant d'arracher la terre sous leurs pieds, se laisse entraîner par le tourbillon d'un entrelacs de cordes fuyant vers l'horizon. Les griffures anguleuses de l'alto ne résistent pas bien longtemps à l'attraction magnétique et les lames acérées qui rayaient le cuivre se voient aspirées vers le sommet du vortex où luit un anneau de ciel bleu. Nous sommes loin, pour autant, de la béatitude et lorsque borborygmes et grincements se mêlent d'introduire un texte plus grommelé que proféré, il y est vite question d'un mur et de la difficulté d'y grimper. Le violoncelle a beau s'abstraire dans l'exécution de modes déglingués, l'alto klaxonne et gémit entre deux répliques puis s'abîme dans un long tunnel où le cuivre est de fer et, sous le grondement du pizz qui accompagne sa fuite, taille dans l'atmosphère de larges portions d'air.
Cet album est sans doute un de ces rares objets que l'on met de côté pour être sûr de ne pas l'oublier car on sait que l'on y reviendra bientôt. Que ce soit la résilience de cette contrebasse au tempo infernal, la voltige de l'archet sur les cordes du violoncelle ou l'alto qui s'enroule sur lui-même en torsions douloureuses et sature le paysage d'arabesques immenses ou de slaps successifs, nous avons ici affaire à l'une de ces pièces de maître qui jalonnent l'Histoire et dont nous ne pouvons qu'envier les heureux spectateurs.

Il est troublant et presque effrayant de voir à quel point ces deux concerts enregistrés à deux années d'intervalle peuvent être à la fois semblables et différents dans la radicalité de leur parti-pris et l'aptitude des musiciens à changer leur instrument d'épaule en fonction de l'environnement, de l'humeur du moment et de la personnalité de chacun. La petite dizaine d'albums où figure le Daunik Lazro des années '80 et qui fut éditée depuis dix ans chez Fou Records représente à cet égard une véritable somme à laquelle les amoureux de free music expressionniste n'ont pas fini de se référer.

Joël Pagier
in Revue & Corrigée n° 143

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